Pendant
que certains s'abrutissaient devant "Les Chtis à Mykonos", une
cinquantaine de Lyonnais suivaient avec attention la conférence du
Professeur Haudry sur les origines de notre identité.
Le savoir est une arme ; s'instruire pour agir !
Nous tenons à remercier Terre & Peuple ainsi que M. Haudry pour cette conférence enrichissante !
I. – Histoire de la recherche
La
recherche sur les Indo-Européens est passée par deux phases opposées. A
l’enthousiasme parfois téméraire des premiers temps ont succédé le
désenchantement et l’hypercritique:
«Après
les espoirs, nourris par les travaux de Kuhn, de Grimm, de Max Müller
et de Schrader, que l’étude comparée des vocabulaires permettrait de
reconstituer un état de civilisation, on était entré dans une ère de
critique et de doute qui menaçait de réduire l’Indo-Européens à la
condition de fantôme linguistique: d’une part, on ne voulait plus
connaitre d’eux que la langue; d’autre part, l’idée d’une langue
commune, dont toutes les autres seraient issues, cédait la place à
l’hypothèse de dialectes entre lesquels des affinités auraient existé au
départ ou se seraient développées au cours des temps».
Cette
position extrême où le scepticisme sur l’existence d’une communauté
ethnique aboutit à mettre en doute, contre toute évidence, l’existence
d’une communauté linguistique est celle de Trubetzkoy, évoquée dans la
conclusion d ‘un précédent volume de la même collection. Il est permis
de penser qu’aujourd’hui la recherche sur les Indo-Européens est entrée
dans une troisième phase, celle de la critique positive et des
certitudes raisonnées.
II. – Problématique
On
ne saurait parler des Indo-Européens comme on parle des Grecs ou des
Romains, puisque nous n’avons d’eux aucun texte; par suite, aucun site,
aucun monument, aucun objet ne peut leur être attribué sans discussion.
Le chercheur ne dispose pas même de témoignages contemporains comme pour
les Gaulois, les Germains et les autres «Barbares» connus des Grecs et
des Romains. Au
départ, l’existence des Indo-Européens n’est pas une donnée, mais une
hypothèse au second degré. La première hypothèse est celle d’une langue
indo-européenne: comme on l’a rappelé dans L’indo-européen, p. 123,
cette hypothèse est la seule qui rende compte des concordances
nombreuses, complexes et precises relevées dans la grammaire et le
vocabulaire de la plupart des langues d’Europe et de plusiurs langues
d’Asie. L’existence d’une langue implique celle d’une communauté
linguistique. Mais communauté linguistique n’implique pas nécessairement
peuple ou nation: le français est aujourd’hui la langue d’une
communauté linguistique dite «francophone» qui, prise dans son ensemble,
n’a en commun que la langue. Une situation analogue s’est constituée
apres l’éclatement de l’Empire romain d’Occident. Mais peut-on avec
quelque vraisemblance faire une telle supposition pour le IIIe
millénaire avant notre ère? Tel est en effet le tenne ultime d’une
communauté indo-européenne: au début du IIe millénaire apparaissent,
déjà bien différenciées, les langues indo-européennes d’Anatolie; or,
rien n’indique l’existence d’un vaste empire au IIIe millénaire ou
antérieurement. La communauté linguistique indo-européenne ne peut être
celle d’un empire ou d’une confédération; c’est nécessairement celle
d’un peuple migrateur. Ce peuple, objectera-t-on, peut avoir été le
rassemblement éphémère d’individus sans autre lien qu’une commune
aventure, et, dans ce cas, il serait vain de rechercher ce qu’ils
avaient en commun par ailleurs. Mais une telle supposition se heurte
aujourd’hui à l’existence indiscutable d’une phraséologie poétique
traditionnelle reflétant une idéologie commune. Et nous verrons que la
communauté s’est étendue sur deux périodes de la préhistoire, l’âge de
la pierre et l’âge du cuivre. Ce qui nous conduit à la seconde
hypothèse, celle d’un peuple indo-européen, dont il reste à déterminer
la civilisation, la culture et la nature, ainsi que la localisation dans
l’espace et dans le temps.
III. – Techniques de reconstruction de datation et de localisation
1.
Civilisation matérielle. – Pour déterminer le niveau de civilisation
matérielle de ce peuple, en l’absence de témoignage direct, on ne
dispose au départ que de la paléontologie linguistique. Cette méthode
consiste à attribuer à un peuple la connaissance des êtres, des notions
et des objets dont la langue possède la dénomination, et à lui dénier la
connaissance de tout ce que son lexique ignore ou ne connaît que par
emprunt. Lorsque la langue sur laquelle on opère est elle-même
reconstruite, les incertitudes de la reconstruction linguistique
s’ajoutent aux incertitudes inhérentes à la méthode. L’absence d’une
dénomination peut être due à des causes purement linguistiques. Ainsi,
du latin aux langues romanes, le nom du cheval, lat. equus, a été
remplacé par caballus sans que pour autant le cheval ait disparu du
domaine correspondant avant d’y être réintroduit. La méthode ne peut
donc pas s’appliquer aveuglément. Mais, en dépit de ses incertitudes,
elle a fourni des indications qui se sont vérifiées, ainsi pour le
niveau de la technique métallurgique. Le lexique indique la connaissance
du cuivre (*áyes-) , mais non celle du fer, dont la dénomination varie
d’une langue à l’autre. Cette indication situe la période finale de la
communauté dans l’âge du cuivre, ce qui se vérifie par ailleurs. Cette
méthode a été utilisée avec succès pour déterminer le cadre de vie des
Indo-Européens, et par là pour situer géographiquement leur habitat
primitif.
2.
Culture. – Appliquée à la religion, composante essentielle de la
culture, cette méthode a donné naissance à la mythologie comparée dont
les résultats ont été si décevants qu’encore en 1928 A. Meillet
concluait qu’on ne savait rien de la religion indo-européenne, sinon que
le culte s’adressait à des dieux «celestes, immortel, donneurs de
biens» et à des faits sociaux divinisés. G. Dumézil a montré depuis
qu’en cette matière il ne faut pas essayer de superposer des mots, mais
comparer des ensembles de faits. Le nom des dieux, des officiants, des
rites et des objets du culte diffère d’une langue à l’autre: la religion
romaine et la religion grecque n’ont guère en comun qu’un nom divin
signifiant étymologiquement «le Père Ciel», Jupiter = Ζευς (πατηρ), mais
le dieu qui le porte n’est pas la personnification du ciel; le nom de
Junon ne concorde pas avec celui d’Héra et l’Apollon romain n’est que
l’emprunt de l’Apollon grec. Paradoxalement, ce n’est pas dans les
textes religieux que sont apparues les concordances essentielles. A
Rome, chez les Germains, chez les Celtes, la tradition s’est conservée
sous forme de légende épique ou d’histoire légendaire. C’est seulement
en Inde et en Iran que nous s0nt conservés des textes religieux
antérieur à l’épopée et à l’histoire; plus explicites par nature, ces
textes ont donné la clé de la pense religieuse des Indo-Européens et
permis d’utiliser les autres documents. Il est apparu que la base des
conceptions religieuses indo-européennes était la répartition des
activités divines et humaines en trois fonctions cosmiques et sociales:
s0uveraineté magico-religieuse, guerre, production et reproduction.
Figées en castes dans la sociéte indienne qui se divise en pretres,
guerrieres et producteurs, les trois fonctions sous-tendent non
seulement une foule de légendes épiques ou semi-historiques (l’épopée
indienne, l’histoire des premier temps de Rome, les Sagas celtiques et
islandaises), mais encore l’organisation du panthéon des divers peuples
indo-européens, chez qui on retrouve des dieux de même fonction suos des
noms differents: la souveraineté magico-religieuse est l’apanage de
Jupiter et de Fides à Rome, de Varuna et de Mitra dans l’Inde védique,
d’Odin et de Tyr en Islande; la fonction guerrière appartient
respectivement à Mars, à Indra, à Thor; la fonction productive à
Quirinus, aux Aśvin, à Freyr et Freya. Ces triades fonctionnelles ne
sont pas des constructions de l’esprit: la triade Jupiter-Mars-Quirinus
est attestée dans la Rome royale et chez ses voisins ombriens; la triade
indienne formée par la couple Mitra-Varuna, Indra et les Aśvin (nommés
aussi Nâsatya) l’est dans un traité entre le souverain indien du Mitanni
et l’un de ses voisins; la triade nordique était honorée au temple
d’Upsal. Et la conception trifonctionnelle est si profondément enracinée
dans la mentalité des peuples indo-europeens que, par-delà l’Empire
romain, elle resurgit dans l’organisation de la société médiévale en
oratores (clergé), bellatores (noblesse), laboratores (tiers état). La
méthode de G. Dumézil, la «nouvelle mythologie comparée» (5), vaut donc
non seulement pour la religion mais pour l’ensemble des institutions; il
y à plus d’un siècle, Fustel de Coulanges montrait, dans La cité
antique, l’unité profonde du droit public et privé et de la religion. On
peut aujourd’hui mesurer la fécondité de cette méthode au nombre
impressionnant de concordances qu’elle a permis de découvrir entre les
systèmes conceptuels, les schémas narratifs, les institutions, etc., en
l’absence de dénominations communes. La
méthode étymologique retrouve ses droits dans le domaine du formolaire
poetique traditionnel: depuis un siècle, chaque année apporte sa moisson
toujours plus riche de rapprochements entre formules du Véda et de
l’Avesta, kenningar germaniques, épithètes homériques, etc.; et ce
formulaire est porteur d’une idéologie que nous aurons souvent
l’occasion d’évoquer ci-dessous.
3.
Peut-on restituer l’état politique et social réel? – On ne doit jamais
perdre de vue que toutes ces reconstructions permettent d’atteindre
uniquement l’image que les Indo-Européens se faisaient d’eux-mêmes, non
de la réalité des faits et des structures. Ainsi, comme l’a indiqué G.
Dumézil, rien ne permet d’affirmer que la population était effectivement
divisée en trois classes fonctionnelles et si, dans ce cas, il existait
entre elles une certaine mobilité. On ne peut donc reconstruire que des
modèles probables, en tenant compte de la reconstruction de l’idéologie
et en confrontant les modèles attestés à date historique, dont certains
présentent effectivement des concordances significatives. Mais en
définitive le modèle reconstruit ne prend réellement consistance qu’une
fois identifié sur le terrain. Ici, comme pour tout ce que concerne la
civilisation matérielle, le dernier mot appartient nécessairement aux
archéologues.
IV. – L’identification archéologique et anthropologique
L’utilisation
conjointe de toutes cet indications permet de poser correctement le
problème de l’identification archéologique du peuple indo-européen,
c’est-à-dire de l’attribution à ce peuple de tel ou tel site
archéologique connu. La datation du divers sites qu’on lui attribue
permet de reconstituer ses deplacements: par là, on apporte un début de
solution au vieux problème de l’habitat originel. A ce dossier, il
convient de joindre les indications externes, qui témoignent des
rapports, ou peut-être d’une parenté, entre la communauté
indo-européenne et d’autres peuples. Un champ immense, encore peu
exploré, s’ouvre à la recherche. C’est en tout dernier lieu qu’il est
possible de s’interroger sur l’identification anthropologique du peuple
indo-européen; la morphologie des squelettes retrouvé dans le sites qui
lui sont attribués permet de le situer par rapport aux races définies
par l’anthropologie physique, et de contrôler les indications fournies
par les textes et les documents figurés sur l’apparence physique de ses
descendants.
V. – Caractère et mentalité
Il
est difficile de tracer un portrait moral des Indo-Européens,
c’est-à-dire de déterminer les constantes de leur caractère, mais il est
facile de connaître leurs idéaux, grâce au formulaire poétique
traditionnel, véhicule naturel de l’idéologie, et grâce aux noms de
personnes: nomen omen, le nom qu’on donne à un enfant indique ce que
l’on attend de lui. Enfin, le problème de la mentalité a été posé à
partir des données linguistiques: le débat sur l’existence de noms
abstraits dans la langue met en cause la faculté d’abstraction des
sujets parlants; le caractère récent des conjonctions de subordination,
qui fait conclure à l’inexistence de la phrase complexe en
indo-européen, a été interprété comme l’indice d’une pensée
rudimentaire. Une réflexion nouvelle sur le sens de l’évolution
linguistique permet de reconsidérer ces conclusions. A partir de la base
linguistique de l’étude, idéaux et mentalité sont ainsi les éléments
les plus directement accessibles; c’est par eux que nous commencerons.
Source : http://europeanwolf.unblog.fr/